Avec plusieurs phases d’extension et d’annexion, à partir de son noyau d’origine qu’était le Vieux Port de Marseille, un point d’étape fondamental a lieu dans les années 1960 avec la création de la Zone Industrialo-Portuaire (ZIP) de Fos.
Émerge alors un ensemble portuaire constitué de bassins est (zone portuaire urbaine située entre la Joliette et l’Estaque à Marseille) et de bassins ouest (ZIP de Fos et Lavéra). À ces installations portuaires s’associe une industrie lourde (sidérurgie, chimie, raffinage, énergie), implantée sur les espaces de transition (écotones) entre Crau et Camargue.
Ces dernières complètent les sites pétrochimiques de Berre l’Étang, Martigues et La Mède (1er pôle pétrochimique de France dans les années 1930) sur les rives de l’étang de Berre. Les accès à la mer ont profité à ces industries pour l’acheminement des matières premières.
Il faut, dans ces paysages industriels, évoquer l’activité des chantiers navals qui débute avec le XXe siècle, marquant l’histoire et les paysages de leurs villes. Certains ont disparu, comme ceux de Port-de-Bouc mais d’autres perdurent à La Ciotat, en se réinventant : ils sont aujourd’hui destinés à l’entretien de super-yachts.
Les complexes industrialo-portuaires se répartissent de fait sur la façade maritime du département et sur les rives de l’étang de Berre, dont l’accessibilité à la mer Méditerranée est assurée par le chenal de Caronte. Le chenal de Fos-sur-Mer à Port-de-Bouc permettait aussi l’acheminement des matières premières vers les sites industriels de Port-de-Bouc et de Martigues.
Les paysages industriels et portuaires sont des territoires singuliers, suscitant rejet ou attachement mais ne laissant en aucun cas indifférent. Quoi qu’il en soit, ce sont des lieux qui portent une intense activité économique, vecteur de développement et d’attractivité pour les environs. Ils font partie intégrante des paysages du département et constituent bien souvent des éléments de repère.
Un véritable horizon industriel
La prégnance dans le grand paysage des activités industrielles (sidérurgie, pétrochimie…) et portuaires est indéniable, tant la dimension et la multiplicité de leurs infrastructures marquent l’horizon. De la concentration d’activités dans un même lieu, fruit d’une politique d’aménagement du territoire mise en place dans les années 1960, est née une véritable « skyline » industrielle. Dans les environs de la ZIP de Fos, le regard embrasse une succession de cheminées, de superstructures métalliques, de hauts-fourneaux, de tanks de stockage, de grues, de bâtiments et entrepôts…qui ont redessiné la ligne d’horizon, aussi bien depuis la terre ferme que depuis la mer. Ces composantes constituent des points d’appel visuels, qui deviennent pour certains des éléments de repère paysager.
Les complexes industrialo-portuaires n’en restent pas moins des paysages singuliers, hors d’échelle. Ils impressionnent par leur gigantisme, que ce soit par les emprises utilisées ou les infrastructures connexes (cheminées, portiques, grues…) jusque dans le dimensionnement des ronds-points aux entrées des sites et les porte-conteneurs redistribuant les échelles.
Au-delà de leur aspect purement technique, ces paysages sont empreints d’une certaine mélancolie, inspirant des artistes valorisant la poésie des paysages portuaires, comme a pu le faire Raymond Depardon. Lorsque le jour décline, l’éclairage compose une scénographie nocturne unique à ces grands sites industriels. Ces paysages singuliers nourrissent, selon que l’on soit riverain, usager ou extérieur, des ressentis divers, allant du rejet à l’adhésion.
Une dimension patrimoniale
Implantés depuis de nombreuses décennies, (chantiers navals de La Ciotat créés en 1916, ceux de Port-de-Bouc en 1899, les premières industries autour de l’étang de Berre dès 1810…) les complexes industriels constituent désormais des paysages référents, devenus familiers pour les habitants du département. Certains sites sont devenus des objets patrimoniaux participant pleinement à l’identité du territoire.
Les chantiers navals de La Ciotat ont d’ailleurs obtenu le label Patrimoine du XXe siècle en 2000, reconnaissant leur rôle dans l’histoire sociale et industrielle de la ville et rendant hommage à la singularité du site. Les nefs (hangars à la charpente métallique et au parement en briques), les grues et le célèbre portique sont immanquables depuis les hauteurs, depuis la plage ou les calanques.
Au sein de la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, plusieurs éléments ont également reçu ce label, parmi la multitude d’ouvrages industriels qui marquent le littoral et les rives de l’étang de Berre.
Ainsi de la Tour de Vigie-réservoir implantée sur le port pétrolier, dont la silhouette originale avec le réservoir en cône inversé et la tour en forme de potence, illustre le langage architectural des années 1960, expression de la modernité, avec l’emploi de béton brut et de formes assumées.
De même pour le pont ferroviaire de Caronte à Martigues, construit dans les années 1910 par Paul Séjourné, dynamité lors de la seconde guerre mondiale puis reconstruit à l’identique. C’est un ouvrage spectaculaire, dont les dimensions, le poids et la particularité d’être tournant étaient exceptionnels pour l’époque.
On pourrait enfin citer le phare de Saint-Gervais à Fos-sur-Mer, dernier phare édifié sur le territoire français (1978), construit en béton armé et aujourd’hui classé au titre des Monuments Historiques.
Des territoires fortement artificialisés
Si leur implantation initiale est directement dépendante de la proximité de la Méditerranée, de la métropole marseillaise et des axes de transport, mais également d’une situation à l’intersection de l’arc méditerranéen et de l’axe rhodanien, l’Homme a ensuite largement remodelé les sites accueillant les complexes industrialo-portuaires.
Le développement des activités pétrochimiques, sidérurgiques et portuaires sur le littoral et les rives de l’étang de Berre ont artificialisé des surfaces importantes, initialement naturelles.
L’étang de Berre, plus vaste étang saumâtre d’Europe, a été l’un des plus pollués. La pêche y a été interdite en 1957 puis rétablie en 1994, redevenant aujourd’hui une activité à part entière.
Un travail de restauration écologique est aujourd’hui engagé et monopolise scientifiques, professionnels de l’aménagement et services de l’État. Dans le lointain les falaises claires rappellent la formation de l’étang : cuvette creusée par le vent et l’érosion pendant la dernière glaciation du Quaternaire, puis envahie par la montée des eaux.
Si les sites industriels ont su tisser des liens avec le territoire, et qu’ils y sont désormais ancrés, ils n’en demeurent pas moins « hors sol », déconnectés du socle naturel. Les quais du chenal de Caronte à Lavéra ont par exemple été gagnés sur l’eau par comblement, les terre-pleins des bassins est et ouest du GPMM ont modifié le trait de côte et l’exutoire de l’étang de Berre (passe de Caronte) a été transformé en chenal de navigation puis progressivement élargi pour s’adapter à l’évolution des bateaux.
De plus, la mise à distance volontaire pour des impératifs de sécurité (intrusion, nombreux sites SEVESO, nuisances et pollutions…) a imposé la mise en place de barbelés et clôtures diverses (parfois doubles clôtures), de friches et de terrains vagues, qui en font des entités à part, voire hermétiques. On trouve parfois dans ces espaces de transition des milieux naturels de grande valeur.